[ean : 9782213721651]
Ava Gardner, la « Marylin brune », l’une des plus belles femmes de son époque, a t-elle vécu une éphémère passion amoureuse avec Françoise Sagan, l’enfant chérie de la littérature, à l’hiver 1967 ?
Il y a, dans les derniers textes de Géraldine Maillet, ce plaisir aussi inconfortable que jubilatoire, parce qu’il ouvre la porte de tous les possibles, le plus génial comme le plus périlleux, à se confronter à cette zone grise dans laquelle se mêlent fiction et réalité.En 2014, la romancière imaginait déjà dans son exaltant « Splendour » les dernières minutes tragiques de l’actrice Natalie Wood, morte noyée au large d’une île californienne en 1981.
Géraldine Maillet aime à percer dans leur crépuscule la psyché de ces stars hollywoodiennes et femmes hors-du-commun, celui d’une vie pour Natalie Wood, enfant star jetée en pâture par l’obsession d’une mère à en faire une vedette, et celui d’une carrière pour Ava Gardner, mise au rebut comme tant d’autres avant elle, Joan Crawford ou Veronica Lake, parce que leur « date limite de consommation » était atteinte, dans un univers où seules comptent l’image et la fraîcheur du jeune âge.
C’est de l’obscurité dans laquelle s’éteint à petit feu une femme complexée, convaincue d’être illégitime malgré sa beauté incendiaire et son talent fulgurant, dépréciée et humiliée par ses multiples maris, Mickey Rooney, Artie Shaw ou Sinatra, que l’auteure extraie ici sa lumière, celle d’une flamme amoureuse, brûlante et fuyante, avec l’une des femmes les plus raffinées et brillantes de son temps.
Cette liaison, sortie tout droit de l’imagination de Géraldine Maillet, est-elle pour autant un pur fantasme ? Pas vraiment. Des éléments épars dans les biographies consacrées à l’actrice peuvent accréditer la thèse. Et la nécrologie que Françoise Sagan consacre en 1990 à Gardner dans le magazine « Elle » (et restitué en ouverture du roman) déborde étrangement du ton minimaliste habituel de la romancière, étonnamment exalté et charnel.
Mais qu’importe, finalement, car le travail que livre ici Géraldine Maillet est celui d’une écrivaine, libre et autorisée à jouer avec n’importe quelle vérité pour faire de la littérature ce lieu privilégié où le réel s’efface derrière la force de l’imaginaire.Ce roman court, passionné, esquisse un incendie intérieur, celui qui envahit Ava Gardner alors qu’elle croise, des années plus tard, dans les allées de Heathrow son amante d’autrefois.
Les deux se sourient mais ne se parlent pas, sans doute parce que cette idylle fut plus anecdotique pour l’une que pour l’autre.
Sculptant les mots pour restituer une avalanche de sentiments qui s’épousent et se percutent et de tourments qui ressurgissent au cours de ces quelques secondes, Géraldine Maillet crée avec élégance un mythe qui, rapidement, emporte le lecteur et le balade entre le tragique d’une vie imbibée de souffrances, d’alcool et de désillusions, et le sublime d’un amour véritable et corrosif.
Écrire sur deux stars comme Ava Gardner et Françoise Sagan, c’est prendre le risque de la médiocrité, de flirter avec le ridicule, de trahir le réel, de se vautrer dans l’affligeant, bien davantage que lorsqu’une histoire est le fruit de l’imagination pure.Se fondre dans la peau d’un monstre sacré tel que « la comtesse aux pieds nus », habiter ses pensées et lui prêter une voix, c’est s’aventurer dans des contrées hantées par la peur de l’imposture.
Géraldine Maillet relève le défi avec brio, fuyant l’ombre vertigineuse de Sagan, romancière et styliste indépassable, pour se lover dans le jargon spontané, passionné et rock d’une comédienne géniale, éconduite par les hommes et par la vie, et façonner un fiévreux monologue intérieur, un émouvant hommage à Ava, la femme, plutôt qu’à Gardner, la diva malgré elle.
Alors que Sagan est accro à la vitesse et aux opioïdes, et que Gardner finira sa vie dans la solitude et l’alcool, c’est l’addiction à l’amour que l’auteure replace ici au coeur des préoccupations, et en premier lieu de celles de la star américaine, dont l’image furtive de l’être aimé au bout d’un hall d’aéroport dévore tout, d’un coup d’un seul, rendant à la femme fatale, formatée par l’industrie cinématographique, un naturel, une spontanéité, une pureté quasi adolescente.
Comme un écho aux amours d’un autre temps, imprévisibles et libres, soumis à la force du coeur et de l’esprit plutôt que réglés par les algorithmes, « Fran et Ava » est une lecture qui apaise, qui rafraîchit, qui illumine et irradie.
Alexis